Le Collage
Le fragment apparaît dans la peinture au XVIIIè siècle et se développe au XIXè, notamment avec Les cathédrales de Rouen de Monet (1892-1894). Alors que la peinture classique proposait une vision plus complète du monde, les artistes contemporains ne cessent de recourir au fragment et ne montrent du modèle qu’une partie, qu’un morceau. Modestes, ils ne prétendent plus s’ériger en créateur omniscient mais préfèrent s’illustrer comme témoins de leurs propres existences.
Yves Ledent n’utilise que des fragments pour réaliser ses « Journaglyphes ». A la fois collage de bandelettes arrachées du quotidien Libération et série de carrés les regroupant, son œuvre peut se découvrir, se recevoir, soit morceau par morceau soit dans son ensemble. Ce morcellement met en relief le manque et l’absence de tout : l’absence du journal, l’absence d’information, mais également la métonymie : en quoi un moins peut produire un plus.
" Ce n’est pas la colle qui fait le collage…"Après l’apparition de la photographie, la peinture réaliste n’a plus sa place : l’art, lassé de représenter son environnement immédiat, décide de le convoquer. Mais que faire ?
Braque et Picasso montrent le chemin en récupérant des restes, des déchets, des objets et en les intégrant dans leurs peintures. La réalité quotidienne entre dans l’art de façon concrète telle la pelle à sucre dans le « Verre d’absinthe » de Picasso en 1914. L’artiste ne représente plus, il « présente ». Il intègre à l’intérieur de ses compositions des éléments extérieurs dont la nature ou la matière est foncièrement étrangère au reste. Il n’est plus celui qui sait faire mais celui qui choisit et organise…
Le collage propose une galaxie bâtie sur des oppositions et des ruptures avec les codes établis - l’artiste juxtaposant au cœur de son œuvre des formes traditionnelles basées sur l’illusion (dessin, peinture…) et des fragments réels (souvent en volume) empruntés à la vie de tous les jours.
" Les photos, ça jaunit avec le temps, avec le temps se fane l'instant… "
A travers ses travaux, Yves Ledent rend visible le passage inéluctable du temps. De ses juxtapositions de " bandelettes " de papier journal émanent un sentiment de mélancolie, l'histoire d'une vie qui passe, et dont les souvenirs s'effacent au fil des années. De leur arrachement né un sentiment de douleur, tel celui éprouvé face à des souvenirs que l'on souhaite oublier, mais qui, pourtant, résistent malgré leur délabrement. Comme si le temps s’appliquait à ne laisser que des cicatrices.
Les interstices et les décalages qui jonchent l’œuvre sont autant de morceaux de vie, "collés" les uns sur les autres, destinés à se faner, à disparaître définitivement.
Yves Ledent nous offre une œuvre profondément " humaine " parce qu’elle traverse les années, non sans égratignures.